Les bienfaits du droit au silence
Surtout pour
les personnes qui ont quelque chose à se reprocher.
C'est un "droit d’importation", écrit Roselyne Letteron,
directement inspiré de la procédure accusatoire américaine reposant sur
une stricte égalité entre l'accusation et la défense. Sa justification
est moins évidente dans un système inquisitoire durant lequel
l’enquête préliminaire et l’instruction se font à charge et à décharge.
Le droit au silence a connu des hauts et des bas et doit son implantation à la pression constante de la Cour
européenne des droits de l'homme. Celle-ci le considère en effet comme un
élément du droit au procès équitable depuis l'arrêt Saunders c. Royaume-Uni du 17 décembre 1996. Le Conseil constitutionnel, dans une décision rendue sur QPC le 30 juillet 2010
a également considéré qu'il faisait partie des droits de la défense et s'imposait dès le début de la garde à vue. L'article 63-1 du code de procédure pénale confère donc à la personne placée en garde à vue "le droit, lors des auditions (...) de faire des déclarations, de répondre aux questions posées ou de se taire".
Faire des aveux en dehors d'une audition est donc devenu une idée malencontreuse. Mais il est possible, dans cette situation, d'invoquer la
jurisprudence libérale de la Cour européenne des droits de l'homme. Dès l'affaire Allan c. Royaume Uni
de 2002, la Cour a sanctionné l'essentiel de l'accusation, des confidences faites à un prétendu co-détenu, en fait un informateur, car elles avaient été
obtenues contre le gré du requérant et leur utilisation portait atteinte au droit de garder le silence.
Le droit de ne pas s'auto-incriminer
Le droit de ne pas s'auto-incriminer est aussi
directement inspiré du droit américain, plus exactement du 5è Amendement
à la Constitution des Etats-Unis. En tant que tel, il ne figure pas
formellement dans le code pénal. Il trouve son origine dans la
jurisprudence de la Cour européenne qui, comme le droit au silence, le
rattache aux exigences du procès équitable. Consacré par un arrêt du 25 février 1993 Funke c. France,
il interdit à l'accusation de recourir à des éléments de preuve obtenus
sous la contrainte ou par la ruse. Dans un arrêt très remarqué du 6 mars 2015, l'Assemblée
plénière de la Cour de cassation reprend ce principe et sanctionne pour
défaut de loyauté le fait d'avoir sonorisé deux cellules de garde à vue
dans lesquelles ont été enfermées des individus soupçonnés d'avoir
dévalisé une bijouterie. Or ces enregistrements sont accablants : après
avoir reconnu avoir exercé des violences à l'égard d'une cliente du
magasin, l'un des deux gardés à vue propose à l'autre de le disculper,
moyennant finances. Ces enregistrements considérés comme des éléments de
preuve et versés au dossier seront finalement annulés car ils ont
conduit les gardés à vue à s'auto-incriminer.Dans le cas d'Hocine X., l'atteinte au droit à ne pas s'auto-incriminer est la conséquence logique de la violation de son droit au silence. Dès lors qu'il a fait des aveux en dehors d'une audition et alors qu'il n'était pas assisté par son avocat, il s'est nécessairement auto-incriminé.
L'ensemble de la procédure
D'une manière générale, la décision du 25 avril 2017 illustre une tendance de la jurisprudence à prendre en considération non plus les seules auditions mais l'ensemble de la période de garde à vue, et non pas la seule garde à vue mais l'ensemble de la procédure pénale. Appliquant la jurisprudence Bykov c. Russie du 10 mars 2009, la Cour de cassation examine donc l'ensemble de cette procédure.
La
jurisprudence de la Cour européenne considère ainsi que toutes les phases antérieures à la saisine
des juges du fond peuvent être soumises aux règles du procès équitable.
Le célèbre arrêt Salduz c. Turquie du 27 novembre 2008
ne raisonne pas autrement lorsqu'il impose la présence de l'avocat dès
le début de la garde à vue. De la même manière, l'audition comme témoin
doit être appréhendée au cas par cas, en fonction des conséquences
qu'elle a eu sur la suite de la procédure et sur la situation de la
personne mise en cause. Dans l'arrêt Schmid-Laffer c. Suisse du 16 juin 2015, la Cour européenne estime ainsi que l'atteinte au droit au procès équitable n'est pas établie. Lors de sa
première audition comme témoin, la requérante s'était bornée à mentionner qu'elle avait évoqué avec son amant la
disparition de son encombrant mari, mais seulement "pour plaisanter".
Ses propos ne permettaient donc pas de l'incriminer directement, en
l'absence d'autres preuves. Il est vrai qu'il aurait été un peu délicat,
en l'espèce, d'annuler la procédure dans la mesure où l'intéressée
avait ensuite fait d'autres aveux circonstanciés, à deux reprises, avant
finalement de se rétracter.
Dans l'affaire Hocine X., la Cour de cassation embrasse aussi
l'ensemble de la procédure pour apprécier la violation du droit au
silence. Il ne fait pas de doute qu'en l'espèce, les aveux spontanés de
l'intéressé sont directement à l'origine de sa mise en examen, et qu'il
n'avait pas renoncé, de manière non équivoque, à son droit au silence.
La sanction pour atteinte au droit au procès équitable n'est donc pas
surprenante.
La place de l'aveu
La décision peut susciter le débat, mais elle repose, avant tout, sur l'idée que l'aveu n'est pas "la reine
des preuves" et ne saurait justifier, à lui seul, la mise en examen
d'une personne. Il doit s'accompagner d'autres éléments à charge,
témoignages, preuves scientifiques, écoutes etc. Cette fois, on ne songe
plus à Francis Heaulme mais à Patrick Dils. Lui aussi avait avoué avoir
tué les enfants de Montigny-les-Metz après trente-six heures de garde à
vue... et son innocence a finalement été démontrée, avec le concours
actif des services de police scientifique de la Gendarmerie. La Cour de
cassation impose ainsi une extrême prudence dans l'enquête pénale, seul
moyen d'éviter les erreurs judiciaires.